Jour 1 – 30 juin 2018
Il est samedi. Il fait beau. Nous sommes à Sandy Hook, dans une marina au mooring depuis lundi, le Atlantic Highland Yacht Club. Hier on a eu droit à un verre gratuit car nous sommes des transients : un bateau qui transit et non un résident. Les résidents sont venus se présenter, nous avons discuté de voile. On n’était pas sur de partir car les modèles météo prévoyaient une immense tempête le 8 juillet exactement ou nous serions si nous partions aujourd’hui. Mais aujourd’hui, rien, les modèles sont bons. Rien à l’horizon. Les réservoirs sont pleins, le frigidaire rempli a craqué. Hier, nous prévoyions partir vers le nord, vers Nantuket island et regarder la météo. Mais les membres du yacht club nous ont conseillé de vérifier si les marinas auront de la place car c’est la semaine la plus achalandé de l’année : la semaine du 4 juillet. Et Nantucket, c’est populaire! Je recherche sur internet : impossible de trouver un mooring pour demain….. On déjeune et discute : pourquoi pas partir vers le sud a la place? Sud-sud-est, regarder la météo, finir la vérification du Dessalinateur (Kata) et la confiance de Ray notre auto-pilote? C’est ce qu’on décide de faire! On part maintenant pour notre traversée. Si jamais Kata ou Ray ne sont pas à la hauteur, on peut toujours revenir aux USA car nous suivrons un peu la cote américaine.
Ça commence bien : pas de vent! On met le moteur pour quelques heures. Mais la quantité de diésel est limitée sur le bateau et il n’y a pas de station-service avant les Azores…. Après quelques heures, nous fermons le moteur et montons le spi. Ça avance. Il fait soleil, on est bien. Ça sera une traversée splendide.
La nuit se lève, on descend le spi et ouvrons le génois : pas d’énervement la première nuit, on doit s’acclimater. Eric et moi barrons à tour de rôle toute la nuit. Les étoiles nous font voir comment nous sommes petits dans notre Dimanche Matin.
Jour 2 – 1 juillet 2018
Nous descendons toujours vers le sud-sud-est. On essaie Kata (le déssalinateur). Il y a des bulles d’air dedans…. Le troubleshooting dit de vérifier toutes les valves, coudes, etc. On réussit quand même à faire 3 gallons d’eau. C’est bien.
Il fait chaud, très chaud. En après-midi, le soleil tape dans le cockpit, sur notre tête, on boit plus de 4 litres d’eau par jour. Dimanche matin se comporte bien, c’est Eric et moi qui sommes rouillés : On ne passe pas les cordages à la bonne place, on fait des gaffes. N’oublions pas que ça fait plus de 8 mois que nous n’avons pas navigué! C’est une bonne chose que le vent soit calme on peut se refaire une main de navigateur. On roule le génois et déroulons le spi comme ça on peut faire du 2.1 kn … Ca va nous prendre un temps fou pour arrive au Azores à cette vitesse là!
Des dauphins viennent nous tenir compagnie pour un petit bout. Ils trouvent qu’on ne va pas assez vite…. Les dauphins aiment sauter en avant du bateau mais si on roule en pépère, ils trouvent cela plate et disparaissent dans l’immensité de l’océan…. Nous, on est content : On a déjà vu 3 sortes de dauphins : une sorte genre petit et plus noir, une espèce gros et gris comme dans les cirques et une dernière picoté. Nous voyons aussi une baleine avec un bébé. Il y a de la vie ici! Aussi plein de pêcheurs, des cages et des bouées de pêcheurs qu’on doit éviter.
La nuit tombe, je suis à la barre pour 2 heures. Eric vient d’aller se coucher. Il fait noir et il y a comme un petit brouillard, la lune ne se lèvera que dans 1 heure, vers 11pm. Tout d’un coup, j’entends des baleines juste à côté de moi. Et je dis littéralement JUSTE à côté : elles sont une grosse gang : j’entends des jets à gauche, à droite en avant en arrière du bateau. Et des sons : des sons stridents, des chants de sirènes, des petit clapotis de langue. Elles traversent le bateau de gauche à droite. Elles sont trop proches, elles sont dans ma bulle. Et je ne vois absolument rien! Eric se lève : Il les entend d’en bas. Il sent qu’elles sont juste l’autre côté de la coque. Je demande à Eric de rester avec moi, j’ai un moton, je suis entouré de baleine. Je sais que ce n’est pas des dauphins car le bruit du jet est différent et lorsqu’elles plongent elles sont grandes. Je garde mon cap, quoi faire d’autre? Je ne veux pas en frapper une mais ce n’est pas moi qui décide car ce sont elles qui se promènent en dessous de nous. Je me calme, Eric repart se coucher, les baleines resteront avec moi pendant 45 min. Ensuite la lune se lève et elles partent! Je ne les aurais pas vues!!!!! J’ai passé le restant de mon shift à me demander ce qu’elles racontaient : peut-être qu’elles expliquaient aux jeunes que nous étions des plaisanciers sur un voilier, qu’on n’était pas dangereux et que c’était facile de nous faire une petite peur, pour s’amuser?
Le vent tombe….. pu de vent. On décide de se mettre à la cap, qui est une méthode pour ralentir le bateau. Et on part se coucher tous les deux pour être en forme demain. Juste une veille à tous les 20 min pour voir s’il y a des bateaux sur l’AIS et à l’extérieur…..
Jour 3 – 2 juillet 2018
Il ne vente toujours pas… On part le moteur et faisons en même temps de l’eau. Encore un problème avec de l’air dans les conduits de Kata….. On arrête tout, Eric regardera cela demain.
Nous avons dépassé la faille et maintenant notre profondeur est de plus de 15 000 pieds. Il n’y a plus de pêcheurs, enfin. Mais on ne voit plus non plus de mammifère. Je vois une tortue… l’eau est d’un bleu profond. On s’attend à rentrer dans le gulf stream bientôt. Il fait chaud….. On commence à puer. La nuit, encore à la cap et vers 6am on part le moteur pour quelques heures, histoire de trouver du vent.
Jour 4 – 3 juillet 2018
Les journées se ressemblent. Eric et moi barrons chacun notre tour, on ne fait pas encore confiance a Ray….. Il y a du courant, un peu. Le gulf stream enfin??? On ne sait trop…
Jour 5 – 4 juillet 2018
Enfin dans le gulf stream! Il y a des vagues, petites, qui viennent de partout. Nous sentons le courant sous le safran. Nous roulons au près car le vent vient du Sud-est. Ray est bon au près alors on le met pour la nuit et Eric et moi ferons des runs de 20 minutes toutes la nuit pour vérifier Ray.
Jour 6 – 5 juillet 2018
Aujourd’hui l’AIS a sonné est on était en ligne avec un paquebot. On est encore dans le gulf stream et c’est presque impossible à changer de cap car c’est le courant qui choisit. J’appelle donc le paquebot en question sur la VHF. Ils nous avaient vus sur son radar. Il nous surveille. Il passera en avant de nous. Il nous demande ou nous allons : aux Azores! Bonne route!
Jour 7 – 6 juillet 2018
Toujours dans le gulf stream avec un courant d’enfer. Le bateau roule à une vitesse vertigineuse de 9-12 kn . Les vagues grossissent et viennent de partout. La mer monte, ça devient choppi. On prend des ris, on enroule le génois. La mer grossit encore. Le bateau craque de partout. La nuit tombe, c’est l’horreur. On voit rien, il y a des vagues partout, le bateau roule dans le courant, impossible de le faire changer de trajectoire. On reçoit des vagues de coté, de devant, de derrière. On ne sait pas trop comment gérer le tout. Et on a super hâte de sortir de la! On espérait le Gulf Stream, maintenant on le hait. On veut juste en sortir. Les modèles nous disent qu’on sera dans cette machine a lavé pendant encore 24 heures mais ils ne prédisent pas de vent. Par contre, dans la vrai vie, nous avons des vents de 20-25 kn, des vagues qu’on considère immense…. On barre ensemble toute la nuit, impossible de dormir et surtout de laisser l’autre tout seul dans cette mer déchainée. Je ne peux pas barrer plus que 30 min, j’ai mal à l’épaule, à mon cou et j’ai l’impression de rouler à 300 miles a l’heure, Eric doit me tenir pour pas que je parte avec la barre tellement que ça tire….. Vers 0300am, on est mort, on ne voit rien. On décide de se mettre à la cap et d’essayer de dormir un peu. Les vagues tapent sur le bateau. On dort collé ensemble pendant 2 heures. Le soleil se lève, on regarde dehors, c’est le carnage. Les vagues, le vent, etc… qu’est-ce qu’on fout ici???
Jour 8 – 7 juillet 2018
On se sait trop quoi faire. On a besoin d’être rassuré. Gaël nous avait toujours dit qu’on pouvait l’appeler n’importe quand : On l’appelle vers 7am, tant pis si on le réveille. Il nous rassure : le bateau se comporte bien? Oui! Quelque chose de briser? Non. Bon bien prenez votre courage et sortez de ce gulf stream! Bon plan! On réussit de sortir de notre mise à la cap, on part. On vire au nord pour essayer de sortir au plus christ de ça. Finalement, vers 17h, c’est le calme. On est sorti!!!
On reçoit un texte de Gaël : une tempête tropicale (no 3) se dirige droit vers nous. Le moton me pogne : j’ai une peur bleu des ouragans. On appelle Gaël, on discute des fuites possibles. Finalement, on décide d’aller vers ESE, vers le high des azores pour se cacher de cette tempête qui deviendra l’ouragan Chris. Gaël nous dit qu’on doit faire 300 miles en 3 jours pour sortir des probabilités de subir des vents de 40 kn et plus. On se sauve.
Jour 9 – 8 juillet 2018
Il fait nuit, il ne vente pas. On est au moteur car on se sauve. Au diable la consommation de diésel lorsqu’un ouragan s’en vient. Worst case, on se gardera un petit peu pour rentrer à la marina à Flores et le reste on consomme pour sortir de Chris. Il y a encore du courant sous nous, de côté. Le bateau fait des drôles de stepettes. Tout d’un coup : bip, bip, bip, bip les instruments sonnent. C’est mon tour de garde, je check : On n’a plus d’auto-pilot, de GPS, de profondimètre… Toute sonne en même temps! Je prends la barre. Je stress : fuck qu’est-ce qu’on va faire sans nos instruments? Ok on a un GPS manuel mais la traversée sera longue! On est mort, je tourne littéralement en rond au moteur. Il y a tellement de courant que c’est impossible d’aller ou je veux aller. Même au moteur. On fait des quarts de 30 min-1 heures. Enfin le vent se lève. On déroule le génois, on trime les voiles, on arrête le moteur. Le courant change, le bateau se comporte mieux.
Jour 10 – 9 juillet
Eric fait le tour des fils de Ray pour voir ce qui s’est passé hier. Il trouve un fils lousse et une note qui dit que l’auto pilote ne doit pas vibrer pour qu’il fonctionne bien. On se rend compte que lorsqu’on est à contre-courant, le bateau vibre tellement que même l’antenne du GPS ne trouve plus de satellite. Voilà notre théorie de la nuit passée. Le courant, c’est aussi et même plus important que le vent. La forme de la quille de Dimanche Matin en est pour beaucoup. C’est une quille longue alors imaginez ce que cela fait lorsqu’on essaie d’aller de travers et le courant nous pousse? Impossible de tenir un cap. On doit prendre en compte dans notre navigation les courants. On download la carte des courants, petit à petit et on planifie de passer dans un courant positif et faible, si possible. Ce que predict Wind ne fait pas! On contourne donc le courant. Avant notre traversée, je pensais que le Gulf Stream était comme une rivière dans l’océan… c’est beaucoup plus complexe! Et ce n’est pas parce qu’on est dans un océan qu’on peut passer partout. On monte au nord, on passe un courant, on descend au sud pour un autre. Et on essaie de faire tout cela en allant le plus à l’est possible car Les Azores, c’est à l’est de nous.
Jour 11 – 10 juillet
Aujourd’hui, on change l’heure locale. Et oui, on est rendu au 54 degré de longitude donc dans un autre fuseau horaire! Et c’est Ray qui barre 24 sur 24 depuis hier. Et il barre mieux que nous! Gaël nous confirme on est out de la zone de 40 kn pour Chris, ouf! Par contre, on aura des vagues confuses. Et on regarde la carte et on devra retourner dans le maudit courant du GS car impossible a contourné. Ca va brasser dans les 48 prochaines heures!
On n’est plus capable de marcher, ça brasse trop. Une chance, Ray conduit à merveille. On le chouchoute, il a même droit à une ration d’eau douce pour le nettoyer. J’ai l’impression que je ne pourrai plus marcher sur terre : mon cerveau à évoluer et je marche maintenant tout croche. On commence à rêver des Azores…. Qui entre nous deux verra la terre le premier? Comment la douche sera bonne, même froide (il parait que l’eau est froide dans la douche a Flores….). On a enfin 50% de notre trajet de compléter, il reste 1000 miles nautiques. On lit sur les Azores, on se repose toute la journée, Ray conduit. Il fait tellement chaud en pm, le soleil tape dans le cockpit et rentre dans le bateau par la porte d’en arrière. On crève de chaleur. On boit de l’eau et du gaterade. On se couche tôt. Je commence a vraiment avoir hâte d’arriver. Les modèles nous disent qu’on arrivera le 19-20 juillet….. Je compte les jours plusieurs fois dans la même journée…. J’ai hâte d’arriver….
Jour 12 – 11 juillet 2018
Pogné dans le courant du Gulf Stream… encore. Ca craque de partout. J’ai peur que le bateau se casse littéralement en deux : on n’aurait même pas le temps d’évacuer. Je fais tellement d’angoisse impossible de manger. Je prie Dimanche Matin de toffer. Je me dis qu’il en a vu d’autre : il est né en 1973 et dans le fleuve St-Laurent il y a du courant aussi… Je me dis que Jean Du Sud a passé à travers le cap Horn alors l’Atlantique est un pet pour Dimanche Matin. La nuit sera longue, encore.
Jour 13 – 12 juillet 2018
Petite accalmie avant un retour dans le courant. On doit traverser un bras du Gulf Stream qui descend donc on aura vent contre-courant alors on sait que ça sera l’enfer. Car l’enfer, ce n’est pas la chaleur éternelle, c’est le courant contre le vent! Ça va débuter vers 18pm jusqu’à vers 2am selon nos calculs… En attendant, on se repose. On se lave un peu et on fait l’amour dans le milieu de l’Atlantique en écoutant Ray marmonner pendant qu’il conduit.
On a aussi trouvé le vrai problème de Kata. Lorsqu’on roule l’eau se succionne du préfiltre et sort au lieu de se remplir. Donc, même à la cap, on a de la misère à faire de l’eau. On va régler ça une fois pour toute aux Azores en prenant l’entrée d’eau du moteur qui est beaucoup plus bas sur la quille. Eric pense aussi mettre une pompe électrique. On ne passera pas une autre traversée comme ça. Et le réservoir d’eau douce qui coule aussi. On va faire quelques travaux aux Azores pour avoir une traversée plus agréable la prochaine fois.
W lui (l’hydro générateur) se porte bien. Il génère à plein. On a même trop d’électricité alors on met le frigo dans le piton. L’eau gèle dedans. Ça fait du bien car il fait chaud dans le bateau et boire une pof d’eau qui nous donne un brain freeze, c’est bon!
Je me demande ce qui se passe dans le monde… Trump est toujours vivant? Chris a-t-il fait des ravages à New York? À Halifax? Fait-il chaud au Québec? Bizarrement, je ne me sens pas trop seule. Eric est avec moi. On a aussi Kata, Ray et W. Une petite équipe!
On embarque finalement dans le courant. Encore une fois, ça craque de partout. Des vagues nous rentrent dans le côté. Ray fait de son mieux. Vers minuit ça se calme, on est enfin passé. Il en reste que 2 bras à passer avant les Azores… Demain et après-demain, surement la nuit.
Jour 14 – 13 juillet 2018
J’ai dormi tout l’avant-midi. Il commence à avoir des grosses vagues de Chris. Mais elles sont longues, Dimanche Matin monte et descend dessus avec l’aide de Ray. Il fait soleil, ça va être une journée chaude. Eric qui s’est levé tôt a déjà downloadé les cartes météo. Notre application nous dit qu’on sera dans la pétole et que maintenant on arrivera le 24 juillet! 4 jours de plus! Mais au moins, ça ne sera pas l’enfer des courants. On en profitera pour faire de l’eau, peut-être même assez pour prendre une douche??????? On verra.
Coté bouffe, on est rendu en canne. Il reste 3 pommes fraiches. Ça ne me manque pas vraiment. Ce que je désire le plus est une douche et me laver les cheveux profondément.
On traversera notre bras du Gulf Stream vers 18pm ce soir. Et oui, l’enfer se passe toujours la nuit.
Jour 15 – 14 juillet 2018
C’est la fête à Real aujourd’hui. Bonne fête Real! Et bonne fête les Français! Et non, on n’a pas traversée le bras, on n’a plus de vent. On a fait quelques heures de moteur, histoire d’aller vers l’est un peu……Ca n’a rien changé, les modèles nous disent maintenant que nous arriverons a Flores vers le 20-22 juillet. Un peu décourageant. Bon, on fait de l’eau, on ajoute du diesel dans la tank a diesel, on fait un peu de ménage. On décide de faire 4 heures de moteur cette nuit de minuit à quatre, histoire d’avoir Ray qui conduit et nous qui dormons.
Minuit, on part le moteur… On essaie de partir le moteur… Il ne part pas. Aucune compression on dirait. Il tourne mais ne part pas comme si il n’avait pas de diésel. Il fait nuit, on est mort. On se met face au vent, 3 ris et génois enroulé et on se couche. De la marde on regardera cela demain.
Jour 16 – 15 juillet 2018
Encore pas de vent. Là je me demande si l’enfer, c’est le courant ou la pétole? Je ne sais plus. En tout cas, ça joue sur les nerfs et la patience. Mon ancienne gestionnaire de projet en apprendrait des choses sur la patience ici!
Eric essaie plein d’affaire pour le moteur, rien n’y fait, il ne part pas. Ostie de moteur. On devrait le changer! Peut-être à Horta? Enfin, on ne va plus à Flores car c’est à Horta qu’il y a du service de moteur. Et Horta est à 110 miles à l’est de Flores. Donc on vient de se rajouter 1-2 jours de navigation….. Rendu la bas, j’appellerai et demanderai assistance pour rentrer à la marina. On va en avoir des travaux à faire avant de repartir. Aurons-nous le temps de visiter? Réservoir d’eau douce, ligne d’entrée d’eau de Kata et là, le moteur…. Eric dit que worst case, on part en sac à dos et il change le moteur pendant ce temps. On verra car s’il sorte le bateau et change le moteur, on devrait en profiter pour refaire les passes coques du coin, histoire d’enlever les petites gouttes qui rentrent……. Je te dis que ce bateau-là, il sera parfait un jour!
Jour 17 – 16 juillet
Le lever du soleil est magnifique. Le vent est de la partie, on roule vers le nord est, enfin! Les modèles nous disent de monter au nord du 42ieme latitude. C’est haut! Enfin, on roule c’est toujours bien ça! Cette nuit j’ai rêvé qu’on manquait de bouffe. Je fais donc un petit inventaire ce matin… Tout est encore beau mais on va en manger des cannes de thon. Et on a du déshydrater (pas tellement bon mais bon). Il va par contre nous manquer de la bouffe à déjeuner... Et nous, on aime ça déjeuner alors ça sera dur de manger des soupes ramen a 6am avec un thé ou café…..
Donc, je décide de mettre le petit poisson en plastique avec hameçon à l’eau, histoire de voir s’il est appétissant pour des plus gros poissons. Je l’oublie presque car il est attaché en arrière sur un taquet. 50 min plus tard, après déjeuner, je remarque que la bobine de fil du poisson a changé de place. Je monte dans le cockpit et replace le tout, regarde si je vois mon poisson rouge… Non, il y a des algues pognées après? Je le ramené tranquillement et, que vois-je? Ce n’est pas des algues c’est un plus gros poisson!!!!! Je crie : On a pogné un poisson!!! Eric ne me croie pas. J’insiste : Un poisson, on a un poisson!! Il monte dans le cockpit et remarque lui aussi le poisson qui gigote au bout du fil. Il court vers le fil, on le ramène et oui : une dorade? Enfin, c’est ce que l’on croit. C’est quand même gros, juste la bonne grandeur pour 2. Eric le monte sur le pont, il se décroche par lui-même et commence à gigoté. On va le perdre! Eric le pogne et pogne en même temps la barre de fer qu’on utilise pour pomper la marde et la pompe de calle manuelle et commence à sacrer des coups dessus. Le sang gicle. Il continue. Je pars chercher un couteau. Il parait qu’on peut le noyer dans de l’alcool mais là, on ne veut pas gaspillé notre bon gin! Finalement, Eric le tue avec le couteau et le dépecer entièrement et fait des genres de filets…. On n’est pas super bon dans le dépressage du poisson sur le pont d’un bateau! Ya du sang partout. On ramasse des filets et on lave le pont à l’eau salée. On pue la sueur mélangé avec du poisson….frais au moins, ça pue moins!
Ce soir, on mange un ceviche de poisson (dorade?) et il nous restera un autre repas genre dorade au riz minute demain ou après-demain. C’est notre premier poisson en 26 ans de vie commune…..
Plus tard en après-midi on entend à la VHF un « Sécurité, Sécurité, Sécurité…. » Wow, ça fait plus de 10 jours qu’aucun son ne sort de cette VHF. Je n’ai pas porté attention à ce qu’il disait. J’appelle « All Stations » et demande de répéter leur sécurité. Finalement, c’est la US Navy qui est un peu plus au nord-ouest de nous qui font des tirs (gun fire) et nous demandent de rester à l’écart….
Cette nuit, on monitore Ray a coup de 1.5 heures chaque. J’ai les yeux dans le même trou à regarder les écrans. Et on a les hirondelles de mer (on les appelle comme ça) qui nous tournent autour à vive allure toute la nuit. Elles sont plus de 3 et font un bruit de petit rire tout le temps comme si elles riaient de nous. On ne comprend pas ce qu’elles font car elles sont avec nous depuis notre départ de New York. Au début on pensait qu’elles mangeaient les insectes attirés par notre lumière de navigation la nuit mais là, dans le milieu de l’Atlantique, je n’ai pas vu un insecte depuis 10 jours. Même pas une araignée….
Vous devriez voir le ciel la nuit…. C’est magnifique. La voie Lactée nous éclaire tellement que j’ai toujours l’impression que c’est la lune ou le soleil dans mon côté tribord (la voie lactée est toujours à notre droite). On voit tout le scorpion en début de soirée, même la queue finale. La constellation du scorpion est celle qui ressemble le plus à son nom. La grande ourse? Je n’ai jamais vu d’ourse le dedans mais le scorpion, on voit un insecte géant avec ses pinces. Et il y a les étoiles filantes. Ce n’est pas la chance lorsqu’on en voit une, c’est la malchance si on n’en voit pas!
Vers 5am, on est tous les deux morts. Dormir à coup de 1.5 heures, ça ne me repose pas, ça fait juste m’empêcher d’être trop fatiguée. Maintenant, ce n’est pas une douche que je rêve, c’est d’une nuit de sommeil de 8 heures sans cadran, sans sonnette et avec mon chum. Donc, trop fatigué et pas de vent : on décide de faire de l’eau ce qui veut aussi dire se mettre à la cap car Kata est très capricieux au niveau de son entrée d’eau : sans air! Et la seule façon qu’on a trouvé c’est de se mettre au cap, bâbord amure. Donc on dort et on monitore Kata en même temps, qui nous fournit 2 litres d’eau par 50 min.
Encore une fois, j’aurais dormi plus longtemps….
Jour 18 – 17 juillet 2018
Un peu découragé, il ne vente plus ou dans le mauvais sens. On est comme dans un tourbillon du Gulf Stream. On voit plein de plastique, styromousse, autre gogosse qui flotte. Mais ça n’avance pas car le courant nous dicte ou aller : on n’a pas assez de vent. On est un peu grinchy tous les deux. On est vraiment tannés. Notre arrivée a Horta me semble un rêve qui ne se réalisera jamais.
Jour 19 – 18 juillet 2018
Ce matin, cela va faire : on se met au Spi et on roule jusqu’à Horta! On a un vent parfait pour le spi. Eric monte le spi et on part. Bon, le moral est remonté on bouge! Il nous reste qu’un bras de Gulf Stream à passer et ensuite : fini le GS! On avance, enfin! On reçoit un texte de Gael qui comprend pourquoi on est si haut en latitude et il trouve que c’est une bonne idée. C’est toujours le fun des encouragements lorsqu’on est dans le milieu de l’atlantique. On roule toute la journée au spi. Au loin, des dauphins se font du fun et sautent totalement hors de l’eau plusieurs fois. Wow! La nuit, le vent tombe, on enroule le spi et on roule avec la grande voile et une corde qui tient la barre et on surveille au 30 min les cargos.
Jour 20 – 19 juillet 2018
On se lève de bonne humeur : la journée sera belle, vous auriez dû voir le lever du soleil se matin : sublime. Comme à l’habitude, on download les cartes météo en prenant un café thé. Eric me laisse dormir un peu. La grasse matinée jusqu’à 7am! On n’a plus de pain depuis 3 jours alors on mange du velvitta sur biscuit soda pour déjeuner. On remet le spi, on roule enfin dans la bonne direction. Horta est maintenant à moins de 500 miles de nous.
Eric et moi parlons de nos prochaines traversées. Celle-là n’est pas si pire si on parle des futures!
On rentre dans le top de la haute pression. Donc, le vent tombe. C’est toujours la nuit que le vent tombe. On prend 3 ris, on mets la corde pour tenir la barre et on dort avec ronde de 30 min pour cargo. J’ai vraiment envie de dormir SANS une alarme qui sonne. Bientôt, à Horta, dans moins de 500 miles nautiques.
Jour 21 – 20 juillet 2018
Ce matin, on a eu des dauphins qui sont passés à côté de nous. Bizarrement, ils ne s’occupent aucunement de nous. Ils sont aussi différents : un genre de bruns foncés sur le top du dos et beige en dessous. Ils sont beaux. Je dois vraiment aller voir sur internet les espèces de dauphins lorsque je serai à Horta. Eric, lui, fait un trip d’étoiles. Il les étudie et son but est de toutes les apprendre avant d’arriver.
Hier soir, on a eu des cinquantaines d’hirondelles autour de nous. Elles ont tournoyées toute la nuit autour du bateau. Encore perplexe, je ne trouve pas une bonne théorie sur leur comportement. Pourquoi???? Il y en a même qui se sont tapées sur la voile et tombées dans l’eau. Vraiment bizarre ces oiseaux.
Le vent est revenu, on a remis le spi après avoir fait plus de 10 litres d’eau. On est rempli d’eau donc peut-être bon jusqu’à Horta?
On a encore changé l’heure, histoire d’être plus prêt de la réalité des Azores. Aux Azores, ils sont encore une heure plus tard que nous donc on devra encore changé d’heure une autre fois.
Les modèles maintenant nous prédisent une arrivée à Horta le 26 juillet. On n’en parle pas trop, au cas où ce n’est pas vrai…. On ne veut pas être déçus encore une fois.
Nous avons mis le petit poisson à l’eau pour pêcher. Nous n’attrapons rien….
Jour 22 – 21 juillet 2018
Aujourd’hui on a rencontré un autre voilier! Et oui, même dans le milieu de l’atlantique, on peut se faire des amis. Nous l’avons vu à environ 5 miles de nous et l’avons appelé sur le VHF. Petite conversation, il sera à Horta la semaine prochaine aussi donc on s’est promis un verre ensemble. C’est un catamaran avec un couple d’Australien : David et Mary. Il nous a aussi dit que 2 autres bateaux nous suivaient et qu’on allait possiblement les rencontrer.
Jour 23 – 22 juillet 2018
On voit Flores!!!!! On devrait y arriver vers minuit. Cela fait 2 jours qu’on conduit 24 sur 24 car Ray ne peut pas conduire lorsqu’on est bâbord amure, son bras étant trop court. On est super fatigué et maintenant on ne fait que conduire, dormir, manger, pipi. Chacun notre tour a des coups de 1 heure la nuit et 2 heures le jour. Et notre nourriture se limite à des graines, barres tendre, sac lyophilisé (vive Kayak c’est super bon) et thon mélangé avec mayo. Yogourt et thé/café le matin. Juste faire la vaisselle nous prend trop d’énergie. On doit se concentrer lorsqu’on barre avec les cadrans. C’est super fatiguant. J’ai hate d’arriver!!!!!!!!!
Il y a du bon vent et des grosses vagues. On rencontre HO! Il a perdu son étai hier soir et il se rend à Flores à moteur. C’est un canadien de Calgary. Il a passé une mauvaise nuit. On le comprend, perdre son étai peut inclure de perdre son mat. Et un mat, c’est dangereux pour faire un trou dans le bateau. De plus, impossible de monter une voile donc ils sont chanceux d’être proche de la terre. Enfin, on s’est promis une bière lorsqu’ils viendront à Horta…..
Jour 24 – 23 juillet 2018
Il est minuit et on est prêt de Flores. C’est la pétole (aucun vent), on dérive un peu vers Flores. Pas tellement rassurant, il y a des roches autour. On cherche le vent. On ne le trouve pas pendant 8 heures. La patience est de mise sur l’océan. Et sans moteur, rien d’autre à faire que chercher le vent en ayant la voile qui flacote d’un bord et de l’autre et espérant que ce flacotement ne brisera rien….
Je promets que si le vent monte, je donnerai 5 euros au premier mendiant que je rencontrerai à Horta et le vent arrive, enfin! Avoir su, j’aurai promis cela bien avant…..
On repart, enfin. On monte le spi, c’est plus rapide par petit temps. C’est plus demandant par contre pour barrer car on doit le monitorer plus.
Vers 15 heures, le vent est rendu a 15 kn, les vagues sont grosses, je réveille Eric car on doit changer de voile, le spi c’est trop dur. Je suis parti au loft 2 fois et là, c’est trop. Partir au loft c’est quand le bateau part dans le vent, se cambre et on se met à giter comme des malades. On doit tirer super fort sur la barre pour le ramener en vent arrière et tout cela peut briser la voile et nous faire une grosse peur car le bateau peut, à la limite, se retrouver coucher dans l’eau une fraction de seconde.
Jour 25 – 24 juillet 2018
On continue vers Horta. Grosses vagues venant de partout. Mais on est chanceux on devra virer de bord et ensuite Ray pourra barrer et ça nous donnera un petit répit. On espère arriver à Horta demain…. Une douche demain…. On est tellement fatigué, épuisé. On ne fait que dormir, naviguer, barrer et manger. On mange du lyophilisé encore une fois, on n’a pas l’énergie pour faire quelque chose ce qui impliquerait de devoir faire la vaisselle….
Jour 26 – 25 juillet 2018
On voit Horta!!!!!!!! On arrivera a 14 heures à la marina! J’ai tellement hâte! On a un bon vent de 20 kn du sud-ouest et les modèles ne prédisaient pas de vent. Et des immenses vagues. Soudain, à 6 miles de la marina, le vent arrête. Comme ça. Et là, ça commence, on se fait garocher d’un bord et de l’autre car il n’a plus de vent mais encore des immenses vagues. Je suis découragée. J’ai envie de hurler à l’océan que je sais que c’est elle qui décide, pas besoin de me le montrer encore une fois. J’avais compris à Flores! Merde. On fait quoi alors??? On attend. Tout d’un coup le vent monte mais un vent d’est. L’horreur, les vagues viennent du sud-ouest mais le vent de l’est. Ca brasse mais au moins on roule. Par contre, pas dans la bonne direction…. Le vent tourne au nord. Au nord, c’est là qu’on doit aller car la marina est au nord. Donc, impossible d’aller à la marina avec un vent dans la face! On part vers Pico l’autre ile. On ne sait plus quoi faire, on ne peut rouler qu’à 60 degré par rapport au vent donc aller au ouest-nord-ouest ou au est-nord-est mais pas au nord….
Rendu à Pico, il est 15 heures. Maintenant c’est clair on ne sera pas à la marina avant 20h, l’heure où elle ferme…. J’en pleure. En plus, on roule au près, le bateau gite beaucoup et on reçoit une grosse vague sur nous au 10 min environ. On est tout mouillé, fatigué et pas encore proche de la marina, toujours à 6 miles… J’essaie d’appeler la marina pour voir s’il n’y aurait pas du local knowledge pour nous aider? Courant? Autre? Et c’est quoi la météo, elle va encore changer? Personne ne me répond sur le VHF sauf un gars du UK qui est à l’ancre dans le breakwater. Il va aller voir à la marina et me demande de le rappeler dans 1 heure. Bon enfin on n’est plus seul au monde….
Une heure plus tard il nous dit que le vent ne changera pas, de faire notre possible pour tirer des bords et de se mettre à l’ancre en arrivant au breakwater. Enfin un plan. On réussit à se rapprocher un peu en tirant des bords c’est-à-dire en roulant a 50 degré d’un bord ensuite, virement et 50 degré l’autre, et en poussant un peu vers le 40 degré jusqu’à temps que la voile flacote…. Dire qu’on est à moins de 6 miles de la marina…..
Il est 11pm, on arrive au breakwater. On doit se mettre à l’ancre au sud d’un catamaran il parait. On voit le catamaran. Au sud, il y a plein d’autres bateaux à l’ancre. On est à la voile donc pas tellement manœuvrant. On zigzag entre les bateaux, on trouve un trou, on vire face au vent, descend la voile d’un coup et on met l’ancre. That’s it! On est rendu!!!!!!!!!!!!! Le gars qui nous à parler tantôt sur le VHF arrive avec son dinghy. Il se présente : Ian. Il travaille sur un gros bateau ici qui est en fait une université sur la mer. Il donne des cours de leadership et navigation. Merci Ian, sans toi on ne l’aurait pas fait. Tu as pris le lead et nous a donné du courage pour qu’on arrive. On t’en doit une.
On pleure Eric et moi en regardant Horta. On pleure de joie, de fatigue, d’accomplissement en se serrant très fort l’un contre l’autre.
Wow Bravo Mireille, votre récit de la traversée est merveilleusement bien écrit ! Grâce à ta plume, j'ai pu vous accompagner (de loin...) dans vos expériences et vos émotions. Merci de l'avoir partagé avec nous.
Prenez le temps de bien vous reposer, vous l'avez amplement mérité !