Vendredi 30 aout 2019 – Jour 3
Cela fait une semaine que nous sommes partis de Ponta Delgada, Sao Miguel, Azores. Nous avions mis le foc comme voile d’avant car il annonçait beaucoup de vent de face et le foc fonctionnait mieux sur le lac Champlain dans ces conditions. Mais, en partant, nous avons compris que nous avions fait une grosse erreur. Avec les vagues, le bateau n’avançait plus et nous faisions du sur place. De plus, on dirait que AIS ne fonctionne plus. L’AIS est le système pour "voir" les cargos d’avance et calculer si on peut rentrer en collision avec eux. Très pratique la nuit. Que faire? Impossible de changer la voile en roulant et imaginer une traversée jusqu’au Maroc comme cela nous est impensable…. On décide donc de partir vers Santa Maria, la plus petite et plus à l’est des iles des Azores. Supposément on ne peut pas arrêter là-bas car nous avons déjà « quitté » l’espace Shengen. J’appelle donc la marina et leur explique notre situation. Pas de trouble, venez et prenez n’importe quel ponton qu’il me répond.
Nous sommes donc restés à Santa Maria pour 2 nuits, le temps de fixer temporairement le problème de l’AIS en mettant l’antenne d’urgence et de changer la voile. Notre antenne sur le top du mat est corrodée et ne fonctionne plus! On a aussi profité pour remplir les réservoirs de diésel et d’eau potable.
Nous sommes donc partis mardi le 28 aout pour le Maroc. On prévoit amerrir à Agadir car nous passons par Madeire et si problème nous pourrons faire un arrêt d’urgence là-bas.
Les deux premiers jours on acclimate. Nous essayons de dormir le plus que nous pouvons mais les nuits sont courtes et on a toujours la fatigue à notre porte. Il semble avoir un problème avec les batteries : elles se déchargent a vue d’œil, ce qui n’était pas le cas l’an passé. Mais, trop exténués, nous décidons de ne pas de faire des tests et de troubleshooting ici. Nous les monitorons le plus que nous pourrons et partirons le moteur au besoin. S’il y a du vent, l’hydro fournit assez d’énergie pour le réfrigérateur et les instruments.
Nous avons déjà fait plus de 10 heures de moteur. Pas de vent ou vent trop faible avec un courant contraire. On profite de notre nouvel acquisition : notre moteur tout neuf qui part au quart de tour. Mais la confiance n’est pas parfaite encore et nous écoutons les moindres petits changements de bruits, vibration, couinements qu’il fait. Et on ne le laisse pas seul avec Ray. Peut-être un jour mais pour l’instant, nous devons prendre confiance en ce nouvel équipier.
Nous allons un peu plus au nord que nous pensions au départ. Nous avons toujours un petit vent sud-est et aller au sud-est est pratiquement impensable. Nous espérons que notre vent du NNE arrivera bientôt et nous poussera vers le sud. Il vente toujours nord prêt de la cote africaine.
Samedi 31 aout 2019 – Jour 4
La fatigue est à son comble. Je dors aussitôt que je peux. La nuit : je ne dors pas, j’écoute tous les bruits du bateau. Une chance Eric dort bien alors il me laisse me reposer le jour.
La nuit passée il y a eu des milliers d’étoiles encore plus belles les unes que les autres. C’est ce que je trouve le plus beau ici : la nuit étoilée. Par contre, le ciel s’est ennuagé et c’est devenu noir comme le poêle….. Ray conduisait et j’étais à ses côtés pour changer ses paramètres au besoin quand, tout d’un coup, comme ça, le vent a passé de l’est au nord, de 5 à 20 kn. Ray a fait un embardé. Le bateau s’est presque couché dans l’eau. Tout a revolé en dedans et dehors dont moi. Mais j’étais attachée. Le bateau s’est retrouvé à la cap et Eric est monté en courant dans le cockpit (il a revolé aussi pendant qu’il dormait) pour voir ce qui se passait. La pluie est arrivée. On a dû remettre le bateau au bon cap, prendre 2 ris dans cette pluie froide et cette noirceur. Je tremblais comme une folle car j’ai eu peur, tout cela s’est passé tellement vite…… J’ai repris la barre, Eric est reparti se coucher et la froidure m’a enseveli car tout mon linge était mouillé…. Pour combler le tout, nous sommes rentrés dans un courant et il nous a apporté au nord… Quelle belle nuit! Une chance, les dauphins sont venus me tenir compagnie le matin vers 5am. Il y avait même des petits bébés. Les dauphins remontent toujours le moral des marins….
Dimanche 1er septembre 2019 – Jour 5
Je ne vous cacherai pas qu’avec mon expérience d’hier soir je me sentais insécure avec l’environnement. Un nuage qui passe au-dessus de nous et ça fait coucher le bateau avec son vent…. J’ai donc tout de suite repris la barre pour reprendre confiance et je surveillais les nuages partout. Et il y en a. Eric me confirme que ce ne sont que ceux qui sont pluvieux qui sont dangereux. On les surveille et on s’assure de passer à côté!
La nuit d’avant n’a pas amélioré mon état de fatigue général. En plus, je tombe menstruée. Je peux vous dire que ce n’est pas facile de changer un tampon quand le bateau est gité! Par contre, ça devrait aidé pour mon insomnie de nuit et mes angoisses J.
Il annonce des grands vents pour les 2 prochains jours alors on nettoie l’intérieur du bateau et on prépare à manger d’avance. Et les vents doivent augmenter après Madeire, l’archipel que nous rencontrerons dans 2 jours.
Nous prenons donc la décision d’arrêter quelques jours à Madeire, ile de Porto Santo pour se reposer, prendre des douches et Eric doit changer l’huile de la gear box du moteur (premier changement à 25 heures…) Et nous serons à mi-chemin pour Agadir. Le vent nous pousse littéralement sur cette ile alors nous ne ferons même pas de détour!
Lundi 2 septembre 2019 – Jour 6
Cette nuit, le vent a monté et ça souffle! 20-25 kn. Et nous avons eu encore de la pluie donc un nuage de vent, encore. Par contre, nous l’avons mieux gérer.
Impossible de faire à manger, ça brasse trop. On mange ce qu’on a fait la veille. Eric reste dehors avec Ray et reçoit des vagues qui grossissent a vu d’œil. Ray par contre est en full forme et avec la vitesse qu’on va l’hydro lui fournit tout l’énergie nécessaire. On l’aime ce Ray!
Il parait qu’on arrivera à Porto Santo demain vers 8am. Parfait, je pense à ma douche et je salive….
Mardi 3 Septembre au Jeudi 5 Septembre 2019 – Porto Santo, Madeire
Arrivé à Porto Santo!!! Il reste une petite place au ponton de la marina alors pas besoin de s’ancrer, nous avons un accès direct avec la douche! J Et elle est gratuite, chaude mais un peu sale. Enfin, elle me procure un bonheur indescriptible.
Après une traversée, nous avons toujours besoin de 2-3 jours pour laver le bateau intérieur et extérieur, remettre de l’ordre pour pouvoir dormir en avant et remplir nos propres batteries. Nous passons donc les 2 premiers jours à se reposer et à frotter. Le soir, nous prenons un peu de temps pour un petit verre de vin et mangeons du bon poisson frais de la poissonnerie.
Il est jeudi, nous sommes enfin prêt pour visiter. Nous regardons la météo et réalisons que notre fenêtre météo est réduite : Le départ est demain OU dans plus de 10 jours… Que faire? J’ai envie de visiter, je n’ai pas envie de repartir. Eric a envie de fêter sa fête sur terre…. Nous discutons et regardons les pour et les contre et décidons de partir demain. Donc, au lieu de visiter, c’est l’épicerie et la préparation du départ. Nous prenons quand même un peu de temps pour luncher en ville et visitons la maison de Christophe Colomb, qui a habité ici pendant plusieurs années. Cette ile est vraiment belle, différente des Azores. Les pics de volcan sont bien présents. Pas encore de Caldera. Et c’est sec, des cactus partout.
Donc épicerie, retour au bateau pour préparation et dire au revoir à nos nouveaux amis de pontons qui trouvent que nous partons bien vite. Une bonne nuit de sommeil avant la traversée qui durera 4 jours selon PredictWind, notre application pour la météo.
Vendredi 6 septembre 2019 – Départ pour Agadir
Imaginez-vous donc qu’on vient de se rendre compte que nous sommes une heure en retard par rapport à Porto Santo! Et oui, ça fait quelques jours que nous vivons en heure UTC et ici c’est UTC + 1! Je trouvais aussi que les gens mangeaient tôt et se levaient de bonne heure! Enfin, on met les horloges à l’heure de Agadir tout de suite, une tâche de moins à faire en traversée!
Et c’est un départ vers les 10-11 heures. Il y a des gros vents donc nous partons avec 2 ris. Au large de Porto Santo, des immenses vagues du nord. Je commence à me demander si c’était une bonne idée de partir. Je trouve les vagues trop grosses, le vent trop fort. Le bateau gite, impossible de faire à manger. Et nous sommes partis vite alors je n’ai rien préparé d’avance. Et j’ai mal au cœur, à cause du stress et de la gite. Les vagues ne font que grossir, nous voyons des vagues plus hautes que le bateau. Dimanche Matin monte dessus et redescend entre deux vagues et il n’y a que de l’eau partout.
La nuit arrive, il y a toujours des grosses vagues mais on ne les voit plus. La nuit est noire et dense. C’est nuageux, aucune n’étoile à l’horizon. Impossible pour moi de prendre le premier quart, je vomi, j’ai mal au cœur. J’essaie de manger des biscottes et des fruits séchés. La nuit sera longue!
Vers minuit c’est mon tour, Eric doit dormir un peu. Je sors dehors et surveille Ray qui conduit dans ses vagues. Nous décidons de faire des quarts de 1.5 heures car c’est trop difficile dehors. Nous sommes tout habillé et à tous les 15 minutes nous sommes arrosés par une vague. La joie! Engagez-vous qu’il disait! Méchante idée de faire le tour de l’atlantique en bateau!
Tout d’un coup, la pompe de cale part. Nous croyons que c’est à cause des vagues. Une heure plus tard, elle repart… Là ce n’est pas normal…. J’essaie de vider avec la pompe manuelle… Elle ne fonctionne pas! (une autre affaire encore!) Entre deux quarts, Eric vérifie et trouve de l’eau dans le compartiment moteur… Bizarre. Aussitôt que le soleil se lève, une vérification devra être faite.
Samedi 7 septembre 2019
Bonne fête Eric!!! Il a 51 ans aujourd’hui! Je lui souhaite une année merveilleuse mais dans ma tête j’en ai vraiment ma claque.
Il fait soleil, Eric regarde de plus près cette eau dans le compartiment moteur. Il s’avère que l’eau rentre par le tuyau d’échappement du moteur, rentre dans le moteur tout neuf et ressort par le filtre à air! Cauchemar! Cette situation peut faire sauter le moteur si nous le partons plein d’eau! Eric débranche le tuyau d’échappement du passe-coque et met une pinoche pour empêcher l’eau de rentrer. Il vide tout l’eau, fait sécher le filtre à air et fait sortir le tuyau directement hors du bateau au lieu du passe-coque. Nous décidons de partir le moteur, histoire de voir si tout est beau avant notre arrivée à Agadir. Il part! Je trouve qu’il a un peu toussoté mais je ne le dis pas à Eric, on a assez de stress comme ça! Nous décidons de laisser cela comme ça et de rentrer à la marina d’Agadir avec cette installation de fortune. Entre temps, nous n’utiliserons pas ce moteur à moins de force majeure car l’huile doit être changée ASAP au cas où de l’eau s’est infiltrée et Eric va faire ce changement d’huile à Agadir.
Le vent se calme un peu, je réussis à faire des sandwichs grillés. Eric se prend une bière pour sa fête.
Dimanche 8 septembre 2019
Le vent tombe, la mer est calme. Ça fait du bien au moral! Les dauphins viennent nous dire un petit bonjour ce matin. Ils font des stepettes hors de l’eau, pour impressionner les femelles? Je vois aussi une tortue.
Nous montons le spi, histoire d’avancer même si pas de vent. Ça va bien, le GPS nous donne une heure d’arrivée pour 20h demain! Par contre, nous allons plus au sud que nos modèles. Le vent monte un peu, nous enroulons le spi et utilisons le génois pour faire un peu plus d’est au lieu de sud.
Durant la nuit, le vent monte et j’entends un drôle de bruit en avant. On dirait que le génois flacote dans le vent. Mais non c’est le spi qui se déroule par en haut! On essaie de rerouler mais c’est impossible. Eric doit donc aller en avant et descendre le spi.
Lundi 9 septembre 2019
Ce matin, pas trop de vent, on décide de remonter le spi et de rouler au spi car nous arriverons maintenant mardi matin. Impossible, le spi est tout emmêlé! Bon… On descend le tout et on se laisse dériver à 2 kns. Et on rage intérieurement. Calisse y-a-t-il quelque chose qui peut bien fonctionner??
Le vent se lève. On roule enfin. Maintenant, nous arriverons à 23h. Ce qui signifie la côte la nuit avec les bateaux de pêche sans lumière et les filets…
Un petit oiseau style pinson vient se poser sur le bateau! Il a l'air exténué. Il vient de ou? La côte la plus proche est à plus de 60 miles. Enfin, il est en sécurité avec nous et si il le veut bien, nous l'amenèrons à Agadir. Il se cache entre le panneau solaire et le dodger, à l'abris du vent. Il reste avec nous quelques heures et reprend la route en venant nous dire aurevoir dans le cockpit. J'aurais bien aimé qu'il reste plus longtemps...
Nous commençons à voir des bateaux de pêche vers le 18h. La profondeur d’eau a diminué et est maintenant que 500 pieds (au lieu de 5 km). Ils ne sont pas sur AIS et traine des filets sur un mile de long. Nous les contournons et continuons notre voie vers Agadir.
Le vent monte et monte. C’est une brise de mer qui durera jusqu’à minuit environ. Et il vente l’enfer. 25 kn. On prend un ris, deux ris, trois ris. On enroule le génois. On roule à 5 kn. Il fait noir, nous approchons d’Agadir. Il y a des grosses vagues qui font rouler le bateau de côté. La marina est située tout près de la plage et nous avons peur que les vagues nous poussent sur la plage. Nous décidons de virer et d’attendre un peu, le vent devrait diminuer pendant la nuit.
Il est minuit, nous partons le moteur et rentrons dans la marina. Les vagues ont diminuées finalement. Nous parlons sur VHF à la marina et un gars nous attend et nous aidera à accoster. Nous arrivons toujours la nuit, c’est notre karma.
Enfin nous sommes au ponton! Le monsieur est gentil et nous souhaite la bienvenue au Maroc. Les autorités arrivent pour inspecter le bateau. Hein? A 2am? Oui oui. 4 personnes en uniforme arrivent et ordonnent au plus jeune de monter sur le bateau et de l’inspecter. Le jeune monte et rentre dans le bateau. Il ressort quelques minutes plus tard pour dire que tout est beau. Il a dû trouver que c’était le bordel! Eric part avec eux pour nous dédouaner et pendant ce temps je demeure sur le bateau et commence le ménage.
Eric revient, sourire aux lèvres. Ils l’ont fait assoir d’un côté d’une table et les 4 de l’autre et l’ont bombardé de questions. Tous avaient les mêmes questions mais un formulaire différent. Un n’avait qu’une feuille blanche et écrivait le tout directement sur la feuille. Le plus important : les drones et les armes à feu qui sont interdit ici. L’alcool, les fruits et légumes ils s’en foutent! Ça tombe bien car nous n’avons pas de drone ni d’armeJ.
Il est 3am, nous sommes officiellement au Maroc. Nous prenons un verre de gin, le sourire aux lèvres et je me dis que finalement, ce n’était pas si pire que ça….
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